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La vraie information, ça se paye !

Nous accueillons, dans nos colonnes, un confrère qui nous parle de la difficulté de la presse à survivre dans un environnement numérique qui privilégie la gratuité et les informations approximatives. Nous abordons aussi, dans cet entretien, les défis liés aux Objectifs de développement durable. Notre invité de cette semaine est Jacques Rombi, journaliste et directeur du Journal des Archipels, qui était l’un des partenaires du Green Tech Summit.  

Jacques Rombi, journaliste et directeur de publication, Le Journal des Archipels

Le Journal des Archipels était l’un des partenaires du Green Tech Summit, une initiative de la French Tech. Dans votre discours, vous avez souligné la fermeture de deux journaux à l’Ile de la Réunion. Parlez-nous-en. 

Disons qu’ils ne sont pas vraiment fermés, puisque Le Quotidien (Ndlr : de La Réunion) profite d’un plan de redressement et le Journal de l’Ile de la Réunion (JIR) attend une décision de justice. Ils sont en grande difficulté. Cela prouve que le modèle traditionnel de la presse quotidienne – tout ce qui est gros tirages, rotatives, grosse équipe – est aujourd’hui en difficulté. Et cela essentiellement de par le fait qu’il y a des réseaux sociaux qui inondent la planète numérique. On a beaucoup trop de choses à lire sur le web. Il faut trier. Il faut savoir trier. Donc nous, en tant que professionnels, on sait quoi lire, mais le problème, c’est que les jeunes, ils lisent tout et n’importe quoi. Ils croient aux réseaux sociaux, ils croient aux ‘fake news’, ils croient aux influenceurs et c’est ça qui tue la vraie presse. Les jeunes ne sont pas sensibilisés au fait qu’une bonne information de qualité, ça se paye. On achète un magazine ou on s’abonne à une newsletter sur le web, mais il faut savoir payer pour avoir de l’info de qualité. Et avec le digital est venue…

 

Cette notion de gratuité qui aujourd’hui tue la presse…

Complètement. Tout est remis en question aujourd’hui. J’ai écouté un débat hier (Ndlr : le jeudi 4 avril) qui fait rage dans mon pays, la France, qui implique une ancienne ministre de la communication qui est partisane d’une restriction du web. Elle parle carrément de restriction. À mon avis, ça va être trop tard, parce que nous sommes allés trop loin. On ne peut pas réduire le web. En revanche, comme je le disais à la fin de mon intervention, essayons de sensibiliser, notamment les jeunes, sur le fait qu’il faudrait surfer moins pour surfer mieux. On n’arrête pas de faire. On le fait tous. On est tous victimes de cette histoire. 

 

On a des algorithmes qui savent très bien nos passions. Moi, je suis passionné par beaucoup de choses. Dès qu’on m’envoie des photos de plongée sous-marine, de moto, je fais défiler les pages comme tout le monde. On est ‘addict’, on est tous ‘addict’, on est tous sensibles à cela, surtout les jeunes qui n’ont pas vu autre chose comme nous, qui n’ont pas l’expérience journalistique qu’on a vécue plus jeune. Donc, c’est ça qu’il faut arriver à réglementer.  

 

Comment on fait aujourd’hui pour limiter le temps d’écran chez les jeunes, pour qu’ils arrêtent de regarder n’importe quoi et surtout croire à n’importe quoi et n’importe qui ? Notamment ces influenceurs ! Ils influencent effectivement, mais dans quel sens ? C’est à ça qu’il faut, à mon avis, réfléchir aujourd’hui entre professionnels de la presse. Comment arriver à réglementer et à réduire le temps que les jeunes passent sur les écrans.

 

Les PME ont beaucoup à apprendre aux grands groupes, parce qu’elles sont sur le terrain.

 

Vous, le fondateur du Journal des Archipels, êtes à Maurice depuis pas mal de temps. Est-ce que pour vous, la presse papier se meurt lentement à Maurice, comme elle se meurt de par le monde?

Je n’ai pas l’impression qu’elle se meurt à Maurice. Je vois qu’il y a quand même une certaine vitalité, il y a des titres, un petit peu pour tout le monde. Paradoxalement, c’est la petitesse du marché qui fait que les gens sont sensibilisés à tout ce qui se passe dans le pays. On vit un peu en famille, entre guillemets, et donc on s’intéresse à tout ce qui se passe. Mais, effectivement la presse est quand même en difficulté.  Ce n’est plus comme avant. Les belles années sont terminées, elles sont derrière nous. Il faut tout le temps se réinventer, à Maurice comme ailleurs. Je pense qu’ici, on n’est quand même pas si mal loti. Même si certains ont des difficultés, ça va relativement bien. 

 

Revenons à votre discours lors du Green Summit,  où vous dites que la vraie information, ça se paye. 

C’est vraiment une question d’actualité. Pas plus tard qu’hier (Ndlr : le jeudi 4 avril) dans l’histoire de la reprise des quotidiens de La Réunion. Il y a le JIR, dont le sort n’est pas encore défini. On ne sait pas ce que ça va devenir, mais  Le Quotidien avait deux offres de reprise. L’un des deux repreneurs préconisait d’arrêter complètement avec les journalistes –  il supprime donc la masse salariale – qui sont remplacés par des jeunes stagiaires, donc pas chers, et l’intelligence artificielle. Moi, franchement, ça me révolte ! D’ailleurs, les juges du tribunal de commerce n’ont pas joué le jeu, parce qu’on ne fait pas de journalisme avec Chat GPT. Chat GPT est pratique, mais c’est tout sauf de la presse.

 

Nous l’avons tous essayé.  Qu’est-ce que c’est chat GPT ? C’est un gros Google Search. Il va chercher toutes les infos qu’il trouve dans le monde et il vous met tout ce qu’on trouve majoritairement sur le web. Il ne va pas faire d’analyse critique. 

 

La vraie information, effectivement, ça se paye ! Nous sommes journalistes, nous méritons un salaire comme tout travail mérite salaire. Donc, ça se paye ! Il y a les études, il y a le savoir-faire, il y a l’expérience ! Il y a beaucoup de paramètres dans un journal. Il y a des secrétaires de rédaction, des photographes pour avoir de bonnes photos. Quand on fait un journal papier ou même web, il faut avoir de bonnes photos, donc ça se paye !

 

Terminons par votre publication. Quelle est la raison de sa présence au Green Summit.

En fait, Le Journal des Archipels est ‘green’ dans le sens où notre ligne rédactionnelle est portée sur l’environnement et l’économie circulaire. Nous avons traité beaucoup de sujets ‘green’, et tous nos dossiers portent sur l’économie circulaire et l’environnement. Je précise au passage que nous ne sommes pas des écolos bornés. Trop de protection, souvent, ça tue l’environnement ! 

 

Je prends un exemple. J’ai fait un article, récemment, sur Madagascar, où on a des ONG qui veulent empecher que les gens pêchent dans la mangrove, coupent le bois, etc. Bien sûr, il faut protéger la mangrove, mais si les populations locales n’ont rien à manger, vous comme moi, si nos enfants n’ont rien à manger, on est les premiers à les couper les arbres et à manger des tortues et n’importe quoi.  Il faut donc penser à l’économie. Qu’est-ce qu’on fait pour les empêcher de couper la mangrove ? On leur propose des solutions en périphérie, on va cultiver des poissons d’eau douce, on va cultiver la terre, on va faire quelque chose pour éviter la prédation sur le milieu naturel. 

 

Les trois piliers du développement durable de l’économie sont qu’il faut que les gens travaillent, gagnent de l’argent et trouvent des ressources pour que le social se porte bien et l’environnement soit du coup protégé. Voilà pourquoi Le journal des Archipels est ‘green’ d’abord, et ‘tech’. Nous avons une vraie interaction entre le web et le papier avec notre système de QR code. Le site web  français-anglais est en plein développement. 

 

Les jeunes lisent tout et n’importe quoi. Ils croient aux réseaux sociaux, aux ‘fake news’, aux influenceurs, et c’est ça qui tue la vraie presse.

 

Au niveau environnemental, on parle beaucoup d’ESG, sur lequel il y a beaucoup de conférences. Est-ce tendance de tenir des conférences ESG, ou s’agit-il d’une vraie prise de conscience ? Quel regard portez-vous sur la façon dont nous avons évolué, à Maurice, par rapport au concept environnemental ? 

Ça c’est une bonne question, parce que justement, on est en pleine réflexion. Pour notre part, nous avons édité un hors-série l’année dernière sur les 17 Objectifs de développement durable (ODD). Un hors-série qui a été couplé à un événement, donc un sommet de réflexion, qui a mis à contribution des acteurs locaux et des acteurs régionaux par visioconférence de Madagascar et de La Réunion. On a fait une grosse enquête en partenariat avec les Nations unies et Kantar Analysis. Tout ça pour vous dire que le résultat de cette enquête montrait qu’en fait, tout le monde se cherche un peu dans les ODD. C’est aussi le cas des grands groupes qui, heureusement, mettent à disposition des ressources humaines parce qu’ils ont les moyens, mais qui se cherchent un peu. Ils n’y arrivent pas, ils sont un peu perdus parce qu’aujourd’hui, ça arrive rapidement et ils ne savent pas encore quels outils utiliser pour atteindre les ODD. 

 

Ils sont volontaires, ils mettent des budgets, ils mettent des moyens humains, mais ils ont besoin d’indicateurs, ils ont besoin d’aide, ils ont besoin d’accompagnement, notamment au niveau des États. Et cela sans parler du grand public et des petites entreprises qui n’ont même pas le temps de penser aux Objectifs de développement durable, à force de travailler non-stop. 

 

D’où l’idée de ce forum, à notre petit niveau, afin de lancer le débat pour que les grands groupes accompagnent les PME et vice versa. Les PME, comme on l’a dit ce matin encore, (Ndlr : lors de la Green Tech Summit) ont beaucoup à apprendre aux grands groupes, parce qu’elles sont sur le terrain. Il y a des réalités que les deux doivent partager, tout ça en synergie avec les gouvernements, qui sont eux aussi un peu dans leur tour d’ivoire et ne savent pas comment faire. Il faut qu’on travaille tous ensemble, dans une  synergie, pour atteindre les ODD. En tout cas, pour commencer à y travailler, il faut qu’il y ait une conscientisation. 

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