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“L’inflation bondit, l’insécurité alimentaire augmente, le gaspillage alimentaire continue… ”

Rebecca Espitalier-Noël, Managing Director de FoodWise

Le cadre réglementaire influe énormément sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. La loi que nous avons contribué à changer sur les dates de consommation l’année dernière a été une énorme avancée. Nous voulons continuer dans ce sens et proposer davantage de solutions à grande échelle pour faire bouger les choses. » C’est là l’un des messages essentiels de Rebecca Espitalier-Noël dans cet exercice de questions-réponses avec BIZweek. Elle souligne, dans le même élan, qu’il n’y a pas de chiffres clairs et précis quant au gaspillage alimentaire à Maurice, où il a lieu, ainsi que ses causes. Pour remédier à cela, Maurice devrait se doter d’une agence qui serait responsable de l’économie circulaire et prendrait en main ces études afin d’avoir un réel état des lieux au niveau national, estime la Managing Director de FoodWise.

Vous étiez l’un des intervenants lors de la ‘panel discussion’ organisée par la Mauritius Institute of Directors (MIoD) et le haut-commissariat britannique autour de la thématique de la sécurité alimentaire. Quelle est votre évaluation de cette initiative?

Se rencontrer avec différents acteurs du public, du privé, d’institutions internationales et de la société civile permet d’entendre des perspectives diverses sur des sujets d’envergure nationale et de créer de nouvelles opportunités de collaboration.

 

Quels messages retenez-vous de cette ‘panel discussion’ ?

Le message le plus important, c’est qu’il faut s’aligner sur une politique commune. La sécurité alimentaire comprend de nombreux aspects, allant de la disponibilité et de l’accès à la stabilité ou encore la qualité. Si nous voulons que tous ces aspects soient assurés, qu’est-ce que nous devons produire, qu’est-ce que nous devons importer, quels types d’infrastructures devrons-nous améliorer ? La sécurité alimentaire mêle agriculture, commerce, social et environnement, et il est donc nécessaire d’avoir une stratégie qui prend en compte tous ces éléments et qui permet d’augmenter notre résilience.

 

Y a-t-il, selon vous, une prise de conscience satisfaisante, au niveau local, sur la question de la sécurité alimentaire ? Les Mauriciens sont-ils suffisamment conscients de l’enjeu ?

Tout le monde réalise que nous sommes très exposés aux crises, qu’elles soient économiques, politiques ou environnementales. L’inflation bondit, l’insécurité alimentaire augmente, le gaspillage alimentaire continue, la valeur nutritive des aliments diminue, certaines denrées se font rares… Tout le monde s’en aperçoit, mais le chemin pour résoudre ces problèmes est encore long.

 

Comment conscientiser davantage ?

Qui doit-on conscientiser ? La population subit. Elle peut être un moteur de changement en demandant des produits locaux responsables envers l’environnement, en réclamant plus de transparence sur le côté nutritif et la provenance des aliments. Malheureusement, elle est souvent contrainte de choisir le prix avant tout.

 

Quel est votre constat au niveau de l’accès à l’alimentation à Maurice ?

Les chiffres parlent d’eux-mêmes. Inflation alimentaire de 18,5% en septembre 2022, taux d’insécurité alimentaire de 17% en 2019, prévalence du diabète de 20%, et taux d’importation de 77%.

 

L’un des intervenants de la ‘panel discussion’ a souligné l’absence d’une structure au niveau de la production. Il n’y a aucune information sur ‘qui produit quoi’. Qu’en pensez-vous ?

FoodWise est axé sur un côté bien précis de la chaîne alimentaire ; le gaspillage. On ne prétend pas avoir des réponses sur l’ensemble du sujet de la sécurité alimentaire, qui est extrêmement complexe et vaste. Si je peux quand même donner mon avis, il manque en effet une politique agricole à Maurice afin, par exemple, d’éviter la surproduction dans certains cas. Si la chaîne de production est mal gérée, si la demande du marché est méconnue ou si les procédés ou infrastructures sont obsolètes, cela peut entraîner une surproduction.

 

Dans une déclaration à BIZweek après la ‘panel discussion’, vous mentionnez la difficulté à obtenir des chiffres sur l’alimentation à Maurice. Quelles seraient vos recommandations pour y remédier ?

 Il n’y a pas de chiffres clairs et précis quant à la quantité de gaspillage alimentaire à Maurice, où il a lieu, et ses causes. Maurice devrait se doter d’une agence qui serait responsable de l’économie circulaire et qui prendrait en main ces études afin d’avoir un réel état des lieux au niveau national.

 

Lors de votre intervention, vous avez préconisé des ‘tax incentives’ dans le cadre de la réduction du gaspillage alimentaire. Pourriez-vous élaborer là-dessus? 

Le cadre réglementaire influe énormément sur la lutte contre le gaspillage alimentaire. La loi que nous avons contribué à changer sur les dates de consommation l’année dernière a été une énorme avancée. Nous voulons continuer dans ce sens et proposer davantage de solutions à grande échelle pour faire bouger les choses. Apporter des incitations financières pour les entreprises pour encourager le don plutôt que la destruction d’aliments encore consommables est notre prochain combat. L’une des solutions qui existent dans énormément de pays dans le monde, comme les États-Unis, la France, l’Afrique du Sud ou la Colombie, est l’incitation fiscale. Je n’en dirai pas plus pour le moment, mais nous travaillons actuellement sérieusement sur le sujet.

 

Il y a aussi la question de stockage…

Cette question de stockage a été mentionnée pendant la discussion et nous intéresse beaucoup car elle est très liée à la question du gaspillage alimentaire. Nous n’avons pas ce projet dans le pipeline pour le moment, mais avoir de meilleures infrastructures de stockage pour les planteurs permettrait de diminuer les pertes qui surviennent à cause de l’incompatibilité entre la demande et l’offre, ou encore à cause des intempéries. Stocker les produits en attendant le retour des prix à la normale, par exemple, permettra d’éviter de nombreuses destructions. Ce serait l’un des avantages, parmi tant d’autres, tant cette question est vaste.

 

Parlez-nous maintenant des projets de FoodWise et de sa philosophie ?

La mission de FoodWise est de sauver de la nourriture pour autonomiser des personnes en situation de vulnérabilité et protéger la planète. Notre objectif est de trouver les moyens les plus efficaces de réduire le gaspillage alimentaire tout en ayant un impact positif sur la vie des gens, mais aussi sur la planète.

Comment fait-on cela? De trois manières : innovation, éducation et plaidoyer. Pour l’innovation, nous avons créé il y a quatre ans un modèle simple pour collecter les surplus alimentaires des entreprises et les redistribuer aux ONG aidant les personnes dans le besoin. À ce jour, nous avons sauvé et redistribué plus de 4 millions de repas en collaborant avec plus de 300 entreprises. Nous avons également créé un bar à jus appelé Rejuice, où nous collectons des fruits et légumes ‘moches’ et les transformons en de beaux jus que nous revendons à bas prix à Bagatelle.

La deuxième façon est de passer par l’éducation. Nous avons créé MEAL, un programme éducatif pour les écoles, qui vise à sensibiliser les jeunes à la nutrition et au gaspillage alimentaire. Avec le soutien de Rogers Hospitality et Maurilait, le programme a déjà touché 225 élèves à travers dix écoles. Un kit pédagogique comprenant un ensemble de ressources sera lancé en 2023 pour permettre aux professeurs d’introduire eux-mêmes ce programme au sein de leurs écoles.

Toujours dans le but d’éduquer, nous avons lancé un livre de recettes appelé “Recettes 5*”. Ce livre de recettes, qui a pour slogan “Quand la gastronomie rencontre le zéro gaspi… à petit prix !”, a pour but d’amener du 5-étoiles à la maison tout en faisant du bien à son porte-monnaie, à sa santé et à la planète. En effet, grâce à la collaboration de chefs talentueux et ingénieux qui ont utilisé des ingrédients locaux et une philosophie ‘zéro-gaspi’, ce sont 30 recettes gourmets à environ Rs 250 pour quatre personnes qui ont été créées. Le lancement de notre première édition a été un succès, et plus de 2 500 Mauriciens en possèdent désormais un exemplaire. Et pour répondre à notre mission d’entreprise sociale, 500 livres seront offerts aux ONG de l’île afin de rendre ces recettes accessibles à tous.

La troisième façon consiste à utiliser le plaidoyer. Nous avons réussi, grâce au gouvernement et à nos partenaires, à changer la loi sur les dates de consommation. Suite à ce changement en juillet de l’année dernière, nous avons lancé un “Pact on Date Labels” où 20 entreprises ont signé des engagements sur la vente et le don de produits ayant dépassé leur ‘best before date’. Une campagne nationale sera lancée cette année pour sensibiliser les consommateurs à ce sujet.

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