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“Le faible taux de réussite aux examens du bar fait toujours sourciller”

Le nombre d’avocats s’accroit d’année en année et ce n’est pas évident pour un jeune de percer dans la profession, explique Me Jenny Mootealloo, qui est passée du côté ‘corporate’ après avoir exercé comme avocate pénaliste durant seize ans. Dans l’entretien accordé à BIZweek, elle nous explique les raisons de ce choix et nous brosse, par la même occasion, un tableau du monde ‘corporate’ et du secteur de l’immobilier. 

Me Mootealloo, après une longue carrière au pénal, vous avez décidé, depuis peu, d’évoluer dans le domaine ‘corporate.’ Quelle en est la motivation?

En effet, j’ai une carrière de 18 années au barreau. J’ai fait 16 années au pénal et cela fait plus d’un an que je me suis tournée vers le ‘corporate’ après avoir complété un LLM en International Business Law à l’Université de Panthéon-Sorbonne.

La décision de changer de spécialité a été prise pendant la crise sanitaire de la Covid-19. Je fais partie de ces personnes pour qui la crise sanitaire a joué un rôle d’accélérateur de leur envie de reconversion professionnelle. Pendant cette période, je me suis questionnée sur le sens et les conditions d’exercice de mon activité professionnelle au pénal. La période post-Covid a été une opportunité de repenser mon orientation professionnelle.

Le pénal m’a permis de me forger une force de caractère et aussi d’être en contact avec des personnes de toutes les couches sociales. L’expérience et la maturité m’ont permis de ne porter aucun jugement sur ces personnes qui venaient à mon bureau. Cela a été une expérience de vie incroyable, mais avec le temps, on n’a plus la même force, la même énergie, et on décide de se réorienter afin de poursuivre son chemin de vie. Ce changement ne peut qu’être bénéfique car il représente un enrichissement professionnel certain.

Me Jenny Mootealloo, avocate

Un nombre important de professionnels rejoignent la profession légale chaque année. Au-delà de la fierté de porter la toge, est-ce évident, vu le grand nombre d’avocats pour un pays aussi petit que le nôtre, de se faire un nom et de gagner confortablement sa vie dans ce métier ?

La profession légale est une profession noble et beaucoup de jeunes aspirent à ce métier pour plusieurs raisons ; certains par conviction et d’autres tout simplement pour la reconnaissance. Je fais partie de ceux qui ont choisi ce métier par passion car cela a toujours été mon rêve d’être avocate et de plaider en Cour afin que justice soit rendue. Cependant, après plusieurs années de pratique, on se rend compte que ce n’est pas forcément le cas et on peut ressentir beaucoup d’injustice. Le nombre d’avocats s’accroit d’année en année et ce n’est pas évident pour un jeune de percer dans cette profession. J’ai eu le privilège de faire mon ‘pupillage’ aux Collendavelloo Chambers et ce cela a été une école de vie car j’ai beaucoup appris. Je ne portais aucun nom, mais avec la persévérance et le dur labeur, j’ai su me faire un nom dans la profession. Nous avons actuellement plus de 2000 avocats enregistrés au Bar Council et ce n’est pas évident pour les débutants de percer et de gagner convenablement leur vie, car très souvent, les clients recherchent des avocats ayant un nom et aussi de l’expérience. C’est l’une des raisons pour lesquelles beaucoup d’avocats s’orientent vers le ‘corporate’, où ils sont salariés et ont ainsi une sécurité d’emploi.

 

Il y a une femme, Mme Rehana Mungly-Gulbul, à la tête de notre système judiciaire, en sa capacité de cheffe juge. Nous avons aussi eu, il y a plus de 20 ans, une femme, Mme Ah Foon Chui Yew Cheong, au poste de DPP. Vous êtes vous-même Commissaire de l’Utility Regulatory Authority. De par votre expérience professionnelle, le monde légal présente-t-il moins de contraintes pour les femmes ?

C’est un fait que dans le domaine judiciaire, on constate une percée remarquable des femmes. La proportion de femmes dans la profession légale a fortement progressé et la féminisation de cette profession ne faiblit pas. Il est intéressant de souligner que le judiciaire est majoritairement composé de femmes. Mais il n’y a pas que chez les juges que nous retrouvons majoritairement des femmes ; elles sont aussi présentes en bon nombre au sein de la magistrature. Je n’ai jamais rencontré de barrières ou d’obstacles dans la pratique de mon métier et j’estime que les femmes exerçant au barreau s’épanouissent dans un environnement sain et propice.

Je siège aussi comme Commissaire à la Utility Regulatory Authority, qui est un organisme régulateur dans le domaine de l’énergie. Au sein du ‘Board’, nous sommes trois femmes sur sept.

 

Les « clients » au criminel font-ils facilement confiance aux femmes de la profession légale ? Et qu’en est-il dans les postes de police, dans les bureaux des unités antidrogues ou les brigades criminelles ?

 Avec le recul, je dirais que dans le domaine du pénal, les « clients » sont assez réfractaires à retenir les services d’une avocate pour les défendre, et qu’ils ont souvent recours aux grands noms du barreau. En fait, il n’y a pas beaucoup de femmes qui se dirigent vers le pénal, car c’est un environnement difficile. Personnellement, je constate qu’il devient de plus en plus difficile d’exercer sereinement son métier au pénal.

 

Les examens du Bar Vocational Course de Maurice sont réputés comme étant plus difficiles à réussir que ceux d’autres pays, comme l’Angleterre. Pourquoi, selon vous?

C’est une vérité. J’en ai fait l’expérience. Après ma maîtrise en droit public à l’université de La Réunion, j’étais dans l’obligation de passer par le barreau mauricien et j’en suis sortie seconde de ma promotion. Je suis donc moi-même un produit du barreau mauricien. Le faible taux de réussite fait toujours sourciller, mais je ne pense pas que nos étudiants soient incapables de réussir cet examen.

Lord Phillips, dans son rapport, a recommandé plusieurs changements dans l’organisation de la formation et des examens des aspirants légistes afin de remédier au problème de l’échec. En 2012, le Council for Vocational and Legal Education (CVLE) a remplacé le Council of Legal Education, mais la situation d’échec que rencontrent les aspirants avocats reste inchangée.

Je suis d’avis que tous les aspirants légistes voulant pratiquer à Maurice devraient, sans distinction, concourir pour les examens du barreau mauricien. Actuellement, seuls les plus fortunés ont le privilège de passer le barreau en Angleterre. Cette situation lèse ceux qui n’en ont pas les moyens financiers et qui sont ainsi forcés de passer les examens du CVLE.

 

Revenons à votre personne. Pourriez-vous élaborer sur la fonction et le champ d’action de l’avocat ‘corporate’ ?

Le champ d’exercice d’un avocat ‘corporate’ est très vaste et peut regrouper des domaines aussi variés que le droit des sociétés, le droit financier et fiscal, le droit immobilier, le droit bancaire, le droit de la propriété intellectuelle ou encore le droit commercial. Le rôle de l’avocat ‘corporate’ est principalement de conseiller et d’assister les dirigeants des sociétés commerciales. L’avocat aide à la rédaction des contrats commerciaux et intervient dans les négociations. Il doit aussi protéger les activités commerciales, intervenir dans les restructurations, dans les procédures de levée de fonds et de cession d’entreprise. Le dossier type n’existe pas. Chaque dossier présente en effet ses propres spécificités, qui dépendent du secteur d’activité des clients et de leurs besoins spécifiques. Le ‘corporate lawyer’ conseille aussi les entreprises sur les aspects juridiques de leurs activités (commerce, acquisitions, contrats, financements, propriété industrielles, etc.) pour les aider dans leurs choix stratégiques. Le domaine du ‘corporate’ requiert une disponibilité complète et une implication personnelle importante.

 

Devient-on avocat ‘corporate’ par souci du statut social, d’accorder du temps à la vie familiale ou pour des raisons financières ?

La profession d’avocat est une profession composée de spécialités diverses au sein desquelles chacun peut trouver un épanouissement professionnel et évoluer dans le domaine qui lui plaît. Les avocats exerçant dans le ‘corporate’ le font par choix et ce choix est motivé par plusieurs facteurs, notamment l’environnement de travail, l’intérêt pécuniaire, le prestige, le défi intellectuel et des champs de pratique diversifiés.

 

Personnellement, vos activités professionnelles seront liées au secteur de l’immobilier. Pourriez-vous nous expliquer votre choix de ce secteur ?

Le secteur de l’immobilier à l’île Maurice est en plein expansion et depuis la crise sanitaire, nous constatons une migration d’expatriés qui arrivent sur l’île et qui veulent s’y installer. Ce secteur figure parmi les plus prometteurs. Le ‘premium visa’ d’un an est une aubaine pour les étrangers désirant s’implanter sur notre île. Ils arrivent en éclaireurs et dans la plupart des cas, décident d’investir et d’y habiter. Maurice est une destination phare en termes d’investissement immobilier car il y fait bon vivre, il y a une stabilité politique, un régime fiscal avantageux, une législation adéquate et des infrastructures adaptées. Le gouvernement a mis en place, à travers l’Economic Development Board (EDB), de nombreux outils permettant la facilitation de l’acquisition de biens immobiliers par des investisseurs étrangers. Les conditions et règlementations établies sont propices au développement dans ce secteur et les investisseurs sont ainsi protégés. L’immobilier mauricien intéresse particulièrement les marchés sud-africain et français. Afin d’attirer d’avantage d’investissements directs étrangers, une série de mesures ont été prises par les autorités pour permettre aux étrangers d’acquérir des biens, notamment à travers le Property Development Scheme (PDS), l’Integrated Resort Scheme (IRS), l’Invest Hotel Scheme (IHS), le Smart City Scheme (SCS), l’acquisition d’un appartement R+2… Ces différents schémas dédiés à l’acquisition sont dans la plupart des cas assortis d’un permis de résidence.

Et désormais, les ressortissants étrangers résidant à Maurice peuvent, avec l’approbation du Prime Minister’s Office, acquérir directement sur le marché local un bien résidentiel en dehors des programmes immobiliers actuels.

Mon rôle, en tant qu’avocate, est d’accompagner les investisseurs ou expatriés souhaitant s’installer à Maurice, et de faciliter leurs démarches administratives en leur offrant une prestation de service personnalisée et conforme à leurs besoins.

 

Lors d’un entretien accordé à BIZweek, l’un de vos collègues a souligné que l’épanouissement de ce secteur ne peut plus se limiter à un comptoir au sein de l’EDB pour l’octroi des permis, etc. Il a exprimé le souhait qu’il y ait un régulateur dédié regroupant toutes les autorités du secteur de l’immobilier. Quel est votre point de vue ?

Depuis 2018, avec la création de l’Economic Development Board, nous avons constaté un nouveau départ dans le paysage économique de Maurice. L’EDB effectue un travail colossal en promouvant le pays en tant que centre d’investissement et d’affaires attractif aux étrangers. Plusieurs mécanismes ont été mis en place afin de traiter les dossiers dans les plus brefs délais et ainsi promouvoir, faciliter et aider au développement des industries et services.

Cependant, qui dit secteur de l’immobilier dit aussi arnaques. Nombreux sont les étrangers qui se font avoir par des pseudos agents immobiliers. Il est important de s’entourer de personnes compétentes, de consultants, et d’éviter des agents informels. Afin d’éviter cette problématique et de projeter une image de qualité de ce secteur, il est impératif qu’une association professionnelle agrémentée par le gouvernement voie le jour.

 

La vente de terrains aux acheteurs étrangers provoque une hausse considérable des prix des terres, qui deviennent inaccessibles aux Mauriciens. Quelle est votre analyse?

Les problématiques de l’accès à la propriété pour les Mauriciens sont d’actualité avec le nombre croissant d’acquisitions par les étrangers. Les Mauriciens se sentent lésés et ressentent une réelle frustration. Cependant, il ne faut pas dramatiser la situation ; le gouvernement a mis en place un encadrement légal avec les législations et les programmes immobiliers afin de contrôler ce secteur. L’EDB est l’organisme de référence qui gère les acquisitions et autres investissements immobiliers par des étrangers et veille au grain afin que les demandes soient conformes aux législations.

Il faut aussi se rendre compte qu’après la crise sanitaire, le secteur immobilier est resté un secteur d’investissement actif et stable et a aidé le pays grâce aux investissements.

 

Comment voyez-vous 2023 et quelles sont vos attentes pour cette année ? 

Je suis très optimiste pour l’année 2023. Après la crise sanitaire de la Covid-19 qui nous a frappés, 2022 a été une année de reconstruction. 2023 sera une année de réalisations. Après deux années difficiles pour les Mauriciens dû à la pandémie et au conflit entre la Russie et l’Ukraine, je m’attends à une amélioration de la qualité de vie et à une relance des activités économiques du pays.

Je souhaite fortement la cessation du conflit russo-ukrainien qui dure depuis presque un an et qui a des répercussions néfastes sur l’économie mondiale.

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