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“Maurice doit s’inspirer du dynamisme américain”

Nicolas Goldstein, cofondateur de Talenteum.com 

« Maurice doit s’inspirer du dynamisme américain »

  • « Déroulons le tapis rouge pour les start-up internationales »
  • « Maurice est un hub parfait pour vivre, travailler et profiter de la vie. En tant qu’expatrié, tous les week-ends, ce sont des vacances. On a un confort de vie que l’on n’a pas dans d’autres pays. »

Dans un monde en perpétuelle évolution, où l’innovation et la technologie redéfinissent les contours du marché du travail, l’île Maurice se trouve à un carrefour stratégique. Avec ses nombreux atouts, le pays a le potentiel de devenir un hub international pour la mobilité des talents, les ‘digital nomads’ et des secteurs à forte valeur ajoutée, tels que la finance et la tech d’impact. 

C’est dans cette perspective que Nicolas Goldstein, cofondateur de Talenteum.com, partage son analyse sur les défis et opportunités du marché de l’emploi à Maurice. Face aux difficultés croissantes de recrutement, aux contraintes réglementaires et à la nécessité d’attirer des ‘success stories’, il plaide pour une montée en gamme des compétences locales et une plus grande ouverture aux talents internationaux. L’intelligence artificielle, selon lui, jouera un rôle clé dans cette transformation, permettant aux entreprises de gagner en productivité et en compétitivité.

Entretien réalisé par Rudy Veeramundar 

Photos : Harry Chetty 

Parlons de votre parcours professionnel et de votre mission avec Talenteum.

Je suis le cofondateur de Talenteum. Nous sommes une plateforme web panafricaine implantée dans huit pays en Afrique. Nous avons des talents qualifiés, prêts à travailler à distance avec le reste du monde.

Nos clients sont ceux, essentiellement en Europe, qui ont du mal à recruter. Ils font appel à nos services et à notre plateforme pour recruter. Nous avons commencé à l’île Maurice, où on a fait le ‘proof of concept’. Nous sommes passés de zéro à plus d’une centaine de personnes. L’île étant petite, nous nous sommes ensuite déployés dans d’autres pays, en commençant par Madagascar. Et là, je pars bientôt au Kenya.

Dans quels secteurs sont vos clients ?

Nos clients sont essentiellement dans les services, dont l’informatique et les services d’entreprise. On parle de ‘back-office’. À Maurice, on connaît bien tout ce qui est BPO.

Les entreprises qui font appel à nous, c’est pour un travail à distance. Il y a tout ce qui est ‘designer’, ‘business developer’, relations client, comptables et tout ce qui tourne autour du back-office d’entreprise.

Si on parle un peu plus d’IA, on nous demande des analystes. Il y a le gros bloc informatique où on nous demande toujours des ingénieurs, vu qu’il en manque un peu partout. Même à Maurice, il en manque. Nous sommes même contactés par de grosses entreprises mauriciennes pour leur trouver des ingénieurs et on va les chercher dans d’autres pays en Afrique.

Quelle est la situation actuellement à Maurice?

L’île Maurice est connue pour être une terre d’externalisation. Depuis plus de 10 ou 15 ans, les entreprises ont formé du personnel en informatique et dans les BPO ‘call centers’. Maintenant, on arrive à une période charnière où il va falloir évoluer.

La main-d’œuvre existe en petite quantité à Maurice. Les entreprises mauriciennes ont du mal à recruter. Il y a de plus en plus de lois contraignantes pour les employeurs pour recruter du personnel et il faut qu’on puisse évoluer. Nous avons actuellement, à Maurice, des personnes de grande qualité, et il faut, à mon avis, les faire monter en compétences. Il faut les faire évoluer avec le temps.

Le gouvernement a déjà mis en place la formation pour les former aux métiers de demain. Il faut insister sur la capacité à utiliser les outils de l’Intelligence Artificielle (IA). L’IA va nous permettre d’être plus productifs, et c’est pour ça qu’il faut monter en gamme. Il faut attirer des talents à Maurice. La question est de savoir comment faire pour attirer les talents pour qu’ils viennent vivre et travailler ici et qu’ils transmettent leur savoir.

De quels talents parlons-nous, par rapport aux métiers d’avenir ?

Les métiers d’avenir sont tous liés à l’innovation et à la technologie. On va parler d’ingénieurs, mais aussi d’autres compétences. Prenons le cas d’une personne travaillant dans un centre d’appel. Si vous la laissez faire ce qu’elle faisait depuis des années, c’est-à-dire lire des scripts et répondre à ce qu’on lui dit de faire, elle va perdre son travail si on ne la fait pas évoluer. On va dire, peut-être, que le robot va prendre son travail. Donc, si vous ne voulez pas que le robot prenne votre travail, le métier de demain de ce téléopérateur est qu’il puisse s’éduquer sur les outils qui lui permettront d’être plus productif. C’est ça qu’on appelle les métiers de demain.

Il ne faut pas simplement attendre d’être embauché dans un centre d’appel qui applique toujours les anciennes méthodes. Il faut que la personne, elle-même, évolue, soit curieuse de tout ce qui se passe, connaisse les logiciels qui émergent… Ceux qui prendront cette vague de l’innovation, de l’intelligence artificielle, se donneront les moyens d’être les meilleurs, et garderont leur travail sur le long terme.

L’intelligence artificielle transforme-t-elle les pratiques de recrutement ?

Cela a déjà commencé. Le recrutement commence à changer, mais on n’est pas encore arrivé à une vitesse de croisière entre la méthode de recrutement traditionnelle et celle utilisant les outils de l’IA. Maintenant, certains outils vous permettent de recruter plus rapidement. Par exemple, nous, chez Talenteum, beaucoup d’employeurs viennent nous consulter pour un profil spécifique, mais ils n’ont pas une fiche détaillée, une fiche de poste. On va tout simplement les référer à notre plateforme et la fiche de poste sera créée par l’IA. Donc, nous transmettons des outils à l’employeur pour aller plus vite.

Cela s’applique aussi à la sélection des candidats. Nous proposons une batterie de tests techniques ou psychologiques. L’IA peut vous aider à aller plus vite, et vous n’avez donc pas à réfléchir. Vous donnez simplement ce qu’on appelle un bon ‘prompt’, et nous pouvons ensuite vous aider à la sélection.

Donc, les outils existent déjà.  Après, il y aura de nombreux outils qui vont arriver sur le marché, et il faudra faire son choix sur les bons outils.

Notre plateforme web, par exemple, offre la possibilité à des talents qualifiés de se présenter, et on les aide ensuite à mieux le faire grâce aux outils d’IA. On leur demande de s’enregistrer pour travailler à distance, on les oriente vers des programmes d’employabilité, et on les forme pour travailler à distance avec des entreprises qui sont en général basées en dehors de leurs pays.

L’IA nous a aussi aidés à la mise en place de certains programmes qui nous permettent de faire monter en gamme les talents qui s’enregistrent sur Talenteum de façon à ce que les compétences des talents qualifiés puissent correspondre aux besoins des entreprises.

Maurice a-t-elle le potentiel de devenir un hub de la mobilité internationale des talents ? 

L’île Maurice a les atouts pour devenir un hub de la mobilité internationale, des ‘digital nomads’ et pour faire venir des gens du monde entier vivre et travailler ici. On a déjà le visa premium qui existe, où on fait appel à ‘digital nomads’ pour venir travailler à Maurice, mais uniquement avec des entreprises étrangères. C’est-à-dire que vous ne pouvez pas travailler avec des compagnies basées à Maurice en tant que ‘digital nomad’. Si vous avez un client en Angleterre ou en France et que vous avez un visa premium, vous pouvez venir ici pour travailler avec ces clients. Je pense que c’est bien. C’est ce que de nombreux pays ont fait après le Covid. Maintenant, il faut insister là-dessus. Il faut faire venir davantage de talents.

Maurice est un hub parfait pour vivre, travailler et profiter de la vie. En tant qu’expatrié, tous les week-ends, ce sont des vacances. On a un confort de vie que l’on n’a pas dans d’autres pays.

Nous avons des opportunités dans ce créneau. L’Europe est en tête du classement de l’investissement direct à Maurice. On peut faire un appel aux talents européens pour venir travailler et s’installer à Maurice. Quand on parle de mobilité internationale, ce sont des gens qui ont un certain pouvoir d’achat. C’est ce qu’il nous faut à Maurice : des gens diplômés, avec la connaissance et un pouvoir d’achat.

Leur présence mènera à une transmission du savoir-faire et à des revenus. J’encourage toutes les organisations gouvernementales à faire de Maurice un hub de talents. Que l’île Maurice devienne attractive dans tous les domaines, que ce soit financier, technologique, la finance d’impact, l’ESG ou les ODD. C’est possible. Il faut une campagne pour que Maurice attire des talents à venir ici avec leur savoir-faire.

Chaque année, au mois de septembre en général, ou en janvier, il y en a beaucoup qui arrivent. Ils sont contents, mais ils sont là pour du court terme. Ce sont des contrats d’un an, qu’ils vont peut-être renouveler. Ce qu’il nous faut, c’est les encourager à s’installer à Maurice, à acheter une maison, à investir ici et à créer de l’emploi. Il faut créer une certaine attractivité. Je suis prêt à travailler avec toutes les parties prenantes pour que Maurice devienne un pôle d’attractivité. Je le fais depuis maintenant 9 ans et je pense que Maurice a les atouts pour devenir un vrai hub.

Maurice est-elle une destination accessible pour la communauté des ‘digital nomads’ ?

Il faut savoir que les ‘digital nomads’, ce sont des pros d’internet et ils ont déjà identifié tous les visa premiums qui existent dans le monde. Donc, s’ils viennent à Maurice, c’est qu’ils ont identifié qu’il y avait un bon confort de vie. Ce sont des gens qui vont aller faire du kitesurf dans l’ouest, ou des personnes qui ont des enfants en bas âge, et pour les enfants en bas âge, Maurice c’est très bien. Il y aussi ceux qui ne parlent pas l’anglais et ne vont pas dans d’autres destinations comme en Thaïlande ou en Indonésie. Maurice est bilingue et elle a des atouts.

Maintenant, on est en compétition mondiale avec d’autres pays. Si on veut être différent, il faut qu’on garde ce visa ‘digital nomad’ et qu’on fasse autre chose. J’ai un projet en ce sens, que je présenterai à l’avenir.

« Je pense qu’il faut être un peu plus libéral. S’ouvrir, mettre des garde-fous, mais reconnaître les talents de chaque personne et voir comment elles peuvent transmettre leur savoir-faire. »

Quelle est la stratégie pour une meilleure intégration entre les talents internationaux et les entreprises locales ?

Il y a de nombreux talents qui arrivent à Maurice, et certains vont s’intégrer à la population. Moi, je connais beaucoup de Mauriciens et je suis ravi de travailler avec eux. Il y en a d’autres qui vont rester dans leur PDS. Il y a peut-être, là, quelque chose à faire.

Il faut savoir que souvent, leurs dépendants n’ont pas le droit de travailler. Même l’épouse qui a été directrice d’une très grande banque française, mais qui est dépendante de son époux, n’a pas le droit de travailler. Finalement, ces gens arrêtent de travailler et ne transmettent pas leur savoir-faire.

Je pense qu’il faut être un peu plus libéral. S’ouvrir, mettre des garde-fous, mais reconnaître les talents de chaque personne et voir comment elles peuvent transmettre leur savoir-faire.

Je pense qu’on n’a peut-être pas assez de talents locaux dans certains domaines, et qu’on peut réfléchir à l’attractivité de Maurice pour 2030. Comment attirer plus de talents ? Qu’est-ce qu’on peut mettre à leur disposition ?

Vous gérez aussi la French Tech. Quel est le rôle de la French Tech dans la promotion de l’innovation ?

Je suis le co-président de la French Tech de Maurice, avec Sandra Leblé. La French Tech, c’est un label mondial créé par la France pour évangéliser sur tout ce qui est innovation et technologie et pour mettre en avant les start-up et l’écosystème dans les pays où nous sommes. Régulièrement, une fois par trimestre, on regroupe des start-up françaises installées à Maurice pour parler d’un sujet. La dernière fois, c’était sur l’IA, et on a fait salle comble.

On échange sur les sujets, on est là pour apprendre et aussi pour faire du réseau. Le prochain événement, c’est l’Invest Night à la French Tech. On va essayer de faire venir les Business Angels, ou des investisseurs qui investissent dans les start-up. Ils parleront de leurs critères de sélection. Pour les start-up, ce sera l’occasion d’exposer leurs soucis dans leurs derniers investissements, ou de nous raconter une ‘success story’. On fait se rencontrer ces deux mondes dans des événements thématiques. C’est ce qu’on fait à la French Tech.

Quels sont les secteurs avec le plus grand potentiel d’innovation à Maurice ? 

Maurice a, pour moi, la possibilité de devenir un hub dédié à la finance d’impact et aussi à la tech d’impact. Je pense qu’il y a tous les moyens pour essayer de réfléchir à comment on révolutionne grâce à l’innovation et à la finance d’impact.

Il faudrait peut-être faire un appel d’air à toutes les start-up internationales en leur disant : « Voilà, on vous déroule le tapis rouge. Venez à l’île Maurice. On recherche des start-up qui peuvent investir dans tel ou tel domaine. Vous allez avoir toutes les autorisations, et tout sera beaucoup plus facile pour vous. Un peu ce que fait Donald Trump aux États-Unis. Pour tous ceux qui investissent un milliard de dollars, on vous déroule le tapis rouge. »

On n’a qu’à s’inspirer du dynamisme de l’Amérique.

Comment voyez-vous l’impact de la transition énergétique sur l’économie et la société mauriciennes ?

Je sais que Maurice essaye de plus en plus de se désengager du charbon, mais cela va prendre du temps. On a du soleil, on a de l’eau et on a du vent. Je pense qu’il faut investir davantage pour avoir une énergie propre. Cela viendra essentiellement par des investissements étrangers et par des partenariats avec de l’innovation. Il faut essayer d’attirer des ‘success stories’ dans ce secteur à Maurice. C’est uniquement en les mettant en avant qu’on va y arriver.

Quels conseils donnez-vous aux entreprises qui cherchent à recruter des talents internationaux ?

Vous savez, maintenant, le monde est global. Il ne faut pas s’arrêter à sa ville, ni même à son pays. Nous, on permet, grâce à Talenteum, de recruter en dehors de ses frontières. Vous avez du mal à recruter dans votre pays ? Vous avez du mal à recruter sur votre continent ? On vous permet de recruter des personnes au-delà de ces frontières grâce à la technologie. Vous pouvez maintenant recruter partout en Afrique, ou du moins dans les 8 pays où nous sommes avec Talenteum, en passant par notre plateforme. On est présent dans un pays, on paye les charges sociales et on vous permet de recruter comme si vous étiez présent.

Et quelles sont vos ambitions et vos projets pour Talenteum ?

Talenteum est une structure répartie dans 8 pays africains. Notre objectif était d’être panafricains et nous le sommes. On va continuer à investir en Afrique en ouvrant dans de nouveaux pays. Nous serons au Kenya ce mois-ci. On a également une offre sur le Botswana. Donc, on ouvre là où on voit qu’il y a une opportunité, où il y a des clients qui souhaitent qu’on ouvre pour eux. Notre objectif, c’est d’être mondial.

C’est en ayant des ‘success stories’ à Maurice qu’on va pouvoir attirer les regards. On va également donner l’opportunité à d’autres Mauriciens de faire la même chose que nous en étant mondial. Donc, notre objectif, c’est de devenir une entreprise mondiale.

Nous avons un nouveau président américain dont l’un des bras droits est Elon Musk. Quel message, selon vous, Donald Trump veut-il envoyer à la planète en ayant Elon Musk à ses côtés ? 

Déjà, le dynamisme de Trump, ainsi que de Musk, montre à la planète qu’ils veulent rester les maîtres du monde. Ils disent que ça va être le nouvel Eldorado. Comme ils disent, « In God We Trust ». Mais ils disent aussi, maintenant, « In America We Trust ». Ils vont tout faire pour créer un dynamisme réel.

En tant que Mauricien de cœur, je dirais que c’est toujours bien de créer, d’être positif… On entend tellement de personnes qui disent que ça va mal, que l’économie va mal, etc. C’est en réfléchissant positivement que les choses vont s’améliorer. Maurice fait face à des difficultés financières et on dit que les caisses sont vides. Eh ben, il faut aller chercher de nouveaux investisseurs. Il faut montrer tous les atouts de Maurice. Maurice est un petit pays qui a tous les atouts pour devenir le Singapour de demain. Donc, il faut qu’on travaille tous ensemble – Mauriciens, expatriés, étrangers – pour que Maurice devienne le joyau de l’Afrique. Il faut réfléchir aux cinq ou dix prochaines années. Nous avons les moyens de le faire.

Je dis à tous les entrepreneurs : « Lancez-vous, utilisez les outils d’IA. Vous avez maintenant toutes les chances de réussir et de vous auto-former pour devenir soit un bon employé, soit un bon talent, soit un bon entrepreneur. Il faut se lancer. »

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