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“Le plus grand souhait de l’OHADA, c’est de voir Maurice y adhérer”

Le traité relatif à l’harmonisation en Afrique du droit des affaires a été adopté le 17 octobre 1993, à Port-Louis. Or, Maurice ne fait toujours pas partie de l’Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires (OHADA). Fort probablement en raison de notre système hybride, avec d’une part le Code civil, et de l’autre la Common Law. Selon le Dr Mounetaga Diouf, juge à la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, tous les pays membres de l’Union africaine, et même ceux qui ne le sont pas, peuvent y adhérer. La position de Maurice est ainsi très attendue au sein de l’OHADA

Dr Mounetaga Diouf, Juge, Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA

On célèbre le 30e anniversaire du traité de l’OHADA. Comment son avènement a-t-il changé la façon de faire des affaires au sein de l’Afrique ? 

Le traité date de 1993. C’était pour faire en sorte que les Etats africains qui avaient le franc CFA comme monnaie commune – donc des Etats qui parlaient le français, car anciennement colonisés par la France –  puissent avoir un droit des affaires commun. Pourquoi cela ? Le droit des affaires issu de la colonisation a changé après les indépendances. Chaque Etat a eu sa propre législation en droit des affaires, parfois en maintenant une loi coloniale, parfois en la modifiant légèrement, parfois en codifiant la jurisprudence tirée du Code colonial. Et cela a abouti, trente ans après les indépendances, à plusieurs droits des affaires différents. 

Pour l’opérateur économique, qui a besoin d’un grand marché, cette multiplicité de textes différents n’était pas une bonne chose. Nous avons des frontières, nous avons de petits pays. Il suffit de traverser une frontière pour se retrouver devant un droit complètement différent. 

Pour un gros investisseur, quand il quitte sa sphère mondiale pour venir investir au Sénégal, par exemple, le marché est insuffisant et petit pour lui. Il a envie de voir ce qui se passe au Mali, de traverser la frontière pour aller dans d’autres pays. L’idéal, quand il traverse la frontière, serait de trouver les mêmes textes. Il aurait moins de difficultés à investir. 

Donc, l’idée était d’enlever ces barrières, et d’avoir les mêmes textes. C’est pourquoi l’OHADA a vu le jour en 1993. Plusieurs textes ont été adoptés pour faire de sorte que certaines matières du droit des affaires soient tranchées de la même façon. Ensuite, l’OHADA a mis en place une Cour suprême régionale qui est chargée de l’unité d’interprétation des textes, de sorte que la règle est la même partout, et appliquée de la même façon partout. 

30 ans après l’adoption de l’OHADA, on a vu des résultats. Les compagnies sont beaucoup plus à l’aise pour faire des affaires, parce qu’elles savent qu’elles sont dans une zone de 17 Etats qui ont le même droit, et qui l’appliquent de la même façon. Cela a entrainé une hausse de la croissance du Produit intérieur brut (PIB) et la création d’emplois. 

 

On croit comprendre que l’OHADA a l’ambition de s’étendre et de ne pas se limiter aux pays francophones. Y a-t-il des critères à respecter pour devenir membre ? 

Il n’y a pas vraiment de critère. L’article 53 du Traité prévoit que tous les Etats qui le souhaitent, qu’ils soient membres ou pas de l’Union africaine, peuvent adhérer au traité. Il suffit que les Etats membres l’acceptent. L’OHADA souhaiterait que tous les Etats membres de l’Union africaine y adhèrent. Si on avait les mêmes droits des affaires sur tout le continent, ce serait l’idéal. C’est cela la mission de l’OHADA. Peut-être qu’on n‎’ira pas jusque-là, mais l’OHADA a pour ambition d’avoir le maximum d’adhérents possible.

Aujourd’hui, nous avons des Etats qui s’intéressent à l’OHADA. C’est le cas de l’île de Madagascar. Nous avons déjà, depuis 1993, les Comores, qui sont de l’océan Indien. Il y a l’île française de Mayotte, qui n’adhérera pas forcément, mais il y a beaucoup de débats dans les médias concernant Mayotte et l’OHADA. On verra ce que ça donnera. Le Burundi n’est pas loin. Le Ghana, par le passé, s’était un peu intéressé à l’OHADA. Donc, nous sommes véritablement dans une bonne dynamique. 

Il y a des difficultés, liées parfois au passé colonial des pays anglophones qui appliquent la Common Law, et qui ont du mal à s’accommoder au droit civil. 

Mais on peut trouver des solutions. Il suffit de s’asseoir autour d’une table et de discuter. Nous avons déjà un pays dualiste, le Cameroun, dont la partie ouest est anglophone, et l’autre partie est francophone. Malgré tout, le Cameroun est un pays unifié, et le droit OHADA s’applique aussi bien dans la partie anglophone que francophone. 

 

Justement, en parlant de pays dualiste, Maurice l’est aussi. Pourquoi notre pays, à votre avis, n’a pas adhéré au traité, bien qu’il ait été signé à Port-Louis ? 

L’île Maurice, c’est un peu la « mère » de l’OHADA, ou en tout cas la clinique où l’OHADA est née le 17 octobre 1993, à l’occasion du Sommet des pays membres de la Francophonie. Le plus grand souhait des experts et des personnalités de l’OHADA, c’est de voir le pays qui a vu  naître l’OHADA nous rejoindre. Nous comprenons que ce n’est pas une question aussi simple du fait également du caractère dualiste de Maurice. Surtout que l’île a beaucoup inspiré les pays du continent, entre autres dans le classement « Doing Business ». L’Afrique et l’OHADA s’intéresse à Maurice du point de vue historique, et de la performance économique. 

Je ne suis pas la voix de l’OHADA, mais je sais que cette dernière ne dirait pas non si Maurice décidait de nous rejoindre. 

 

L’Afrique a récemment mis sur pied la Zone de libre-échange continentale africaine (ZLECAF). Comment l’OHADA cohabitera-t-elle avec ce nouveau venu ? 

Il y a toujours des possibilités de cohabitation. En tout cas, elle est indispensable. On n’a pas le choix. C’est vrai que ce sont deux organisations qui n’ont pas la même mission, même s’il y a des recoupements qu’on peut faire. Certaines matières sont réglementées par la ZLECAF, notamment le Protocole sur le commerce des marchandises. Elle prévoit un certain nombre de dispositions, notamment sur la conformité des marchandises. L’OHADA a également un acte uniforme sur le marché en général, qui comporte tout un livre sur la vente commerciale. Dans celui-ci, on trouve des dispositions sur la conformité. Donc, il y a matière à collaborer pour que les deux dispositifs ne soient pas contradictoires. 

Deuxièmement, nous avons, au niveau de la ZLECAF – j’étais le juriste de la délégation du Sénégal lors de échanges sur la ZLECAF – le Protocole pour le règlement des différends. Il prévoit des négociations, des consultations… Mais à la fin, si les parties n’ont pas pu s’entendre, elles peuvent se tourner vers l’arbitrage. Or, l’OHADA est dotée d’un centre d’arbitrage. Une fois que la sentence est rendue sous l’égide du centre d’arbitrage de l’OHADA, elle peut être exécutée dans tous les Etats membres. 

Donc, l’OHADA peut aujourd’hui servir de réceptacle, ou d’organe d’appui au règlement des différends. Nous avons de l’expérience là-dessus, et les structures pour. 

L’OHADA pourrait même voir si elle ne peut pas avoir le statut d’observateur au niveau de la Zone de libre-échange continentale africaine. L’OHADA pourrait apporter son soutien dans l’élaboration des règles de la ZLECAF. Nous sommes là depuis 30 ans, et nous avons un circuit clair et précis de préparation de nos textes qu’on peut mettre à la disposition de la ZLECAF. 

 

Au niveau de la Cour commune de justice et d’arbitrage de l’OHADA, avez-vous beaucoup de cas jusqu’ici ? 

Au départ, le centre a eu du mal à démarrer. Quand il a démarré, il a eu du mal à fonctionner. Mais depuis quelques années, des mesures ont été prises. Aujourd’hui, nous avons beaucoup d’affaires qui sont traitées au niveau du centre d’arbitrage, car les hommes d’affaires et les sociétés économiques concluent de plus en plus de conventions d’arbitrage en choisissant la Cour commune de justice et d’arbitrage comme centre habilité à trancher les litiges.

Les règlements d’arbitrage de l’OHADA ont été révisés en 2017. Désormais, nous sommes dans la finalisation d’un projet de restructuration du centre de justice pour lui donner une certaine autonomie. Dans l’opinion publique, on considère que si une cour de justice abrite l’arbitrage, c’est le juge qui fait l’arbitrage. Non, les juges ne font pas l’arbitrage. La cour administre l’arbitrage. 

La réforme, qui aboutira d’ici la fin de l’année, va certainement rassurer tous ceux concernés qu’une cour de justice ne rime pas avec l’arbitrage. 

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