Back to Bizweek
SEARCH AND PRESS ENTER
Latest News

“Forum – Comment intégrer les économies de l’océan Indien pour créer de la valeur”

Réunis sous la modération de Kevin Ramkaloan, CEO de Business Mauritius, lors du Business Forum France-Maurice, les acteurs de l’économie régionale ont débattu des leviers à mobiliser pour faire émerger une croissance partagée dans l’océan Indien. Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur, a plaidé pour un tournant stratégique vers l’économie bleue et la valorisation durable de la zone économique exclusive mauricienne. Gilbert Manciet, directeur général de La Réunion Développement, a insisté sur l’optimisation des chaînes de valeur à travers la mutualisation et l’innovation collaborative. Arnaud Lagesse, CEO du groupe IBL, a mis en avant l’intégration verticale de l’industrie du thon et la nécessité d’une reconnaissance internationale du port de Port-Louis. Cédric de Spéville, CEO d’Eclosia, a appelé à une coopération régionale renforcée dans le respect de la biosécurité, tout en soulignant le rôle stratégique de Madagascar. Compte rendu.

Rudy Veeramundar

Vassen Kauppaymuthoo, océanographe et ingénieur

« Il faut développer une flotte régionale de cabotage pour renforcer les échanges »

Kevin Ramkaloan, CEO de Business Mauritius (Modérateur) – Merci de votre présence pour parler d’économie bleue, de souveraineté alimentaire et de chaînes de valeur régionales. Monsieur Kauppaymuthoo, vous êtes océanographe et ingénieur, et vous connaissez bien le sujet. Comment la communauté des affaires, et plus particulièrement les investisseurs français présents aujourd’hui, peuvent-ils contribuer à concrétiser les objectifs de ce gouvernement en matière de souveraineté alimentaire et d’émergence de l’économie bleue comme pôle de croissance ? La parole est à vous.

Vassen Kauppaymuthoo – À Maurice, on a souvent eu un regard tourné vers l’intérieur. On parlait des champs de canne à sucre, des usines… Mais aujourd’hui, il y a un changement de paradigme : on commence à regarder vers l’horizon. On se rend compte qu’en tant que petit État insulaire, nous sommes aussi un grand État océanique, avec une zone économique exclusive de 2,2 millions de kilomètres carrés – soit quatre fois la superficie de la France.

Ce potentiel de l’économie bleue, bien qu’ayant été exploité dans certains secteurs comme le thon – avec une production d’environ 110 000 tonnes par an – reste un nouvel Eldorado encore largement inexploité et qui n’a pas encore livré toutes ses ressources à notre pays. C’est pourquoi le programme gouvernemental récemment présenté met l’accent sur le développement de nouveaux piliers économiques, dont celui de l’économie bleue.

Ce pilier nécessite naturellement la participation du secteur privé. Le gouvernement joue un rôle de facilitateur, mais il peut aussi, à travers des projets de partenariat public-privé (PPP), ou via des projets purement privés, encourager l’investissement dans ce secteur porteur. Toutefois, il est essentiel que les bénéfices soient partagés équitablement et que ce développement se fasse de manière durable – c’est l’arrière-plan incontournable du concept.

Malgré les usines de transformation du thon présentes à Maurice, des ressources halieutiques restent inexploitées, notamment sur les bancs océaniques. Entre Maurice et les Seychelles, il y a une grande montagne sous-marine qu’on appelle le Plateau des Mascareignes, où l’on trouve des espèces encore non exploitées. Actuellement, seulement 37 bateaux de pêche semi-industrielle y opèrent, alors que ce secteur offre un réel potentiel.

En lien avec la sécurité alimentaire, il faut rappeler qu’à Maurice, nous importons 80 % de notre nourriture, ce qui est énorme. Il y a donc un travail considérable à faire en matière de souveraineté alimentaire. Exploiter nos ressources marines, ces « protéines bleues », sera un élément crucial pour améliorer cette sécurité.

Pour cela, il est aussi nécessaire de relier les différentes îles de l’archipel mauricien par une flotte maritime. Comment se rendre à Rodrigues ? Comment approvisionner nos îles ? Comment aller aux Chagos ? Il nous faut développer une flotte régionale de cabotage pour renforcer les échanges, car ceux-ci ne peuvent pas se faire uniquement par voie aérienne. Les échanges maritimes, historiquement fondamentaux, restent un défi à relever. Renforcer cette connectivité est donc capital.

Nous savons que la France a beaucoup de compétences en matière de développement du capital humain. Moi-même, j’ai étudié en France, à l’École des Mines. Et ce développement est essentiel pour concrétiser notre vision d’un État océanique. Le gouvernement mauricien a besoin de la coopération universitaire, notamment française, pour former les compétences nécessaires – des gens pour travailler sur les bateaux, pour gérer notre vaste espace maritime.

Il y a déjà un chantier naval à Maurice, mais je pense qu’il y a de la place pour deux nouveaux chantiers, pour des navires de plus grande taille. Ce serait une belle opportunité. Et ces projets peuvent se concrétiser à court ou moyen terme, grâce à un cadre réglementaire que le gouvernement s’efforce de rendre plus attractif.

Mais si l’on pense à plus long terme, en sortant des sentiers battus – car souvent, un investisseur recherche ce petit plus, ce qui donne du piquant – nous nous tournons à Maurice vers la biotechnologie marine. Il faut se rappeler que les océans, où la vie évolue depuis 3,8 milliards d’années, recèlent un immense potentiel génétique, notamment pour les secteurs pharmaceutique et nutraceutique.

Dans ce cadre, le gouvernement va très prochainement ratifier et appliquer le protocole de Nagoya sur l’accès aux ressources génétiques. Grâce au soutien de la France, Maurice a aussi été le sixième pays à signer l’accord BBNJ (Biodiversity Beyond National Jurisdiction), qui traite de ces ressources génétiques.

Oui, le cadre va exister, et le potentiel est là. De nombreux médicaments sont déjà issus d’organismes marins. Ce potentiel peut sembler lointain, mais il est d’une grande importance.

Enfin, on ne peut parler d’économie bleue sans évoquer le climat, la préservation de nos ressources marines et les solutions fondées sur la nature. Il faut préserver nos coraux et nos herbiers marins, qui nous aident à absorber le CO₂ et à protéger nos plages de l’érosion.

Et si l’on regarde du côté financier, on parle aujourd’hui de carbone bleu et de crédits biodiversité – de nouveaux secteurs de la finance où les océans ont un rôle central à jouer, notamment à travers la création de marchés ou de bourses d’échange pour ces crédits, afin de financer l’économie bleue.

Voilà donc quelques pistes que je vous propose – des bouteilles à la mer, en quelque sorte – mais je suis convaincu que le potentiel est bel et bien là.

 

Gilbert Manciet, directeur général, La Réunion Développement (Réunion)

« Notre objectif est l’optimisation de nos chaînes de valeur »

Le Modérateur – Monsieur Manciet, comment voyez-vous l’évolution des chaînes de valeur dans l’océan Indien ? Ensuite, pouvons-nous les réinventer comme des vecteurs de croissance partagée pour la région ? Et enfin, selon vous, quelles approches d’affaires peuvent émerger pour nous tous ici ?

Gilbert Manciet – Dans le prolongement de vos propos et des questions que vous m’avez posées, je tiens à préciser, en préambule, que les éléments dont je vais vous parler reposeront essentiellement sur les acteurs économiques. Pourquoi les acteurs économiques ? Parce que c’est la vocation de notre agence régionale de développement économique : apporter une plus-value au développement de l’activité économique réunionnaise. Nous travaillons donc au profit des acteurs économiques.

Pour répondre à votre première question, sur l’évolution des chaînes de valeur, il faut partir de l’existant. On peut mettre en place des dispositifs pour faire évoluer ces chaînes, mais en s’appuyant sur des expériences déjà menées. Il existe dans l’océan Indien des cas où des acteurs économiques ont été amenés à travailler ensemble, ponctuellement, pour des raisons structurelles, conjoncturelles ou liées à l’environnement international. Ils ont mutualisé leurs moyens, parfois une partie de leurs chaînes de valeur, ce qui leur a permis de gagner en efficacité, en performance financière, mais surtout en optimisation.

Notre objectif est bien l’optimisation de nos chaînes de valeur, afin de permettre un développement approprié à l’échelle de la zone océan Indien, avec une dépendance moindre – je reste humble – aux importations, quelles qu’elles soient. Cette évolution est possible, car nous, les acteurs institutionnels ou semi-institutionnels, pouvons accompagner ces chaînes de valeur de manière constructive. Il ne s’agit pas d’un accompagnement contraignant, mais d’un accompagnement intelligent, en tirant les leçons du passé, en identifiant les points de blocage et en voyant ensemble comment, chacun dans nos territoires, nous pouvons apporter notre pierre à l’édifice. Chacun a ses contraintes, ses impératifs, ses gouvernances et son cadre propre – c’est normal, mais il doit être possible de trouver des points de croisement sur lesquels avancer.

Concernant la croissance, plusieurs filières ont été évoquées – je les reprendrai partiellement : le numérique, l’économie bleue, le tourisme. Ce sont autant de domaines où il est possible de développer des chaînes de valeur via des actions de mutualisation. Cela permettrait aussi le partage de bonnes pratiques – en tenant compte bien sûr de la confidentialité des échanges commerciaux. Ces bonnes pratiques, une fois partagées, peuvent être transposées à l’échelle régionale pour optimiser les ressources humaines, les équipements, et accompagner les investissements nécessaires – parfois lourds – à la mise en œuvre de ces chaînes de valeur.

Cela nécessitera de partager l’information. Ce n’est pas un exercice simple, ce n’est pas en claquant des doigts ou en décidant cela dans une salle. Mais, humblement, je pense qu’en travaillant ensemble – entre agences de développement économique ou d’investissement, par exemple – nous avons toute latitude pour progresser ensemble, dynamiser nos économies, et apporter une réelle plus-value aux acteurs économiques. Et, par ruissellement, à la population. Cela ne se fera pas du jour au lendemain, mais à terme, notre population devra elle aussi s’approprier cette dynamique régionale.

Le « produit océan Indien », peu importe le nom qu’on lui donne, est une notion importante. Il faut que notre population en soit fière et qu’elle adhère à l’idée d’une économie régionale plus résiliente. Bien sûr, il y a des obstacles – normatifs, réglementaires, etc. – mais nous devons être capables de confronter ces contraintes et de construire, malgré tout, des passerelles qui, même si elles ne sont pas totalement stables, seront suffisamment solides pour progresser. Cela suppose un travail collectif, collaboratif, de prospection, souvent à partir d’une feuille blanche.

Vous parliez de piquant… Oui, il y a du piquant à partir d’une feuille blanche, à avoir parfois le courage de refermer le cahier en disant : « Sur ce sujet-là, on n’y arrivera pas, c’est trop compliqué », et de passer, ensemble, à autre chose.

Pour répondre à votre question sur les approches d’affaires et les opportunités économiques, nous avons devant nous un vaste champ d’action. La mise en œuvre de ces actions, notamment en matière d’innovation, nécessitera des réflexions, des échanges, des ‘brainstormings’ pour identifier ce qui peut être réalisé ensemble.

L’innovation, oui. Mais aussi la mise en commun des appuis à l’ingénierie de projets. C’est essentiel. Si nous décidons ensemble, à l’échelle régionale, que tel ou tel projet doit être porté collectivement, alors nous pourrons fédérer nos énergies pour atteindre l’objectif.

Et enfin – et c’est sans doute le plus important – il faudra un accompagnement au financement. Plus nous serons unis, plus nous jouerons collectif, plus nous serons forts pour aller chercher des financements auprès des instances régionales, européennes, internationales. Peu importe la source, du moment que nous y allons ensemble, avec une marque commune : celle de l’océan Indien. Cela permettra de mettre en avant notre volonté d’avancer, mais aussi notre volonté impérative d’associer nos populations à cette démarche. Il faut que nos populations s’approprient ce processus pour qu’ensemble, nous avancions aussi sur le plan sociétal.

 

Arnaud Lagesse, CEO d’IBL

« Port-Louis n’est toujours pas reconnu comme un port apte à accueillir les flottes d’armateurs européens… »

Le modérateur – Monsieur Arnaud Lagesse, comment pouvons-nous renforcer cet écosystème régional afin de soutenir le développement de l’économie bleue ? Deuxièmement : pour les investisseurs et les entrepreneurs, quelles seraient les opportunités à saisir ?

Arnaud Lagesse – Effectivement, avec cette zone économique de plus de 2 millions de kilomètres carrés, on se rend compte que nous avons, à Maurice, une opportunité unique de développement dans l’espace de l’économie bleue. Le groupe IBL est un pionnier dans ce domaine : dès 1972, nous avons lancé une usine de transformation de thon à Maurice. Aujourd’hui, avec plus de 6 000 emplois, nous sommes l’un des plus gros opérateurs de l’hémisphère Sud dans ce secteur.

Notre entreprise est totalement intégrée. Nous assurons le transport du poisson dans des navires frigorifiques, disposons de quais en eau profonde et procédons à plusieurs niveaux de transformation du poisson : en longes, en conserves prêtes à consommer… Les sous-produits sont valorisés : une partie est transformée en farine animale, une autre en huile oméga. Les résidus finaux sont convertis en énergie à travers un procédé de méthanisation.

C’est un système quasiment unique au monde, et nous utilisons environ 99 % de la ressource pour créer de la valeur ajoutée.

L’objectif est d’inscrire cela dans une logique de coopération régionale. Il s’agit de garantir la pérennité de la ressource et de maximiser la valeur ajoutée localement. Nous avons, à ce titre, la Commission thonière de l’océan Indien (CTOI), qui, avec l’appui de l’Union européenne, gère les quotas de pêche. Je dois dire que cette commission fait un travail remarquable, notamment avec des pays comme les Seychelles, pour assurer une gestion durable des stocks. Lors de la dernière réunion de la CTOI, l’accent a été mis sur deux espèces : le skipjack et le bigeye, pour garantir la disponibilité des stocks à long terme.

Cependant, plusieurs défis subsistent. Tout d’abord, bien que les pays européens soient nos partenaires, ils ont élargi les quotas d’importation de thon vers leur territoire. Initialement, il s’agissait d’environ 15 000 tonnes à un tarif de 6 %, et aujourd’hui, on dépasse les 35 000 tonnes à un tarif nul. Résultat : nous, dans l’océan Indien, nous nous battons pour une gestion responsable des ressources, pendant que l’Union européenne autorise l’entrée massive de poisson sans réelle exigence sur la traçabilité, les méthodes de pêche, ni la durabilité. C’est une situation préoccupante. Nous travaillons étroitement avec l’Union européenne pour rééquilibrer ces quotas, afin qu’ils soient plus équitables.

Autre difficulté : le port de Port-Louis, qui occupe une place centrale dans la logistique régionale, n’est toujours pas reconnu comme un port apte à accueillir les flottes d’armateurs européens, principalement espagnols et français.

Cela signifie que ces flottes ne peuvent pas bénéficier du droit de débarquer jusqu’à 10 % de leur production hors quotas à Maurice. C’est une restriction majeure.

Par ailleurs, l’Union européenne ouvre de plus en plus ses marchés à des pays comme la Turquie, la Thaïlande, le Ghana ou l’Équateur, qui deviennent de sérieux concurrents.

Cela ne facilite pas la gestion durable de la ressource dans l’océan Indien, ni le développement de l’économie bleue.

Nous devons impérativement établir une relation de confiance à long terme avec nos partenaires, dans laquelle Maurice – et Port-Louis en particulier – est reconnue comme un acteur stratégique.

Il y a aussi un ennemi commun que nous devons affronter : le changement climatique. Avec El Niño, on observe d’importantes variations des stocks de poissons, qui migrent vers l’ouest de l’océan Indien. Cela entraîne une baisse significative des captures dans les zones autour des Seychelles, par exemple. Certes, nous n’y pouvons pas grand-chose directement, mais nous devons mieux comprendre ces phénomènes.

Il faudrait débloquer des crédits pour étudier El Niño – comme on le fait aujourd’hui pour les cyclones – et prédire les trajectoires de réchauffement des eaux, donc la migration des poissons.

Enfin, je tiens à mentionner un point important : l’octroi de mer à La Réunion. Je sais que c’est une source essentielle de financement pour la collectivité régionale, mais c’est un frein majeur à la fluidité des échanges commerciaux dans la région, et donc à l’autonomie alimentaire.

Vassen (Ndlr : Vassen Kauppaymuthoo) parlait d’une dépendance à 80 % aux importations alimentaires. Je n’ai pas les chiffres exacts, mais il est certain qu’en renforçant la coopération entre les îles, nous pourrions réduire cette dépendance.

Par ailleurs, le nombre de rotations maritimes entre les îles est très faible : deux par semaine. Ce n’est pas suffisant. Il faudrait augmenter les liaisons pour fluidifier les échanges commerciaux régionaux.

Nous avons, grâce à notre position géographique – Maurice, La Réunion et les autres îles – une opportunité unique de développer l’économie bleue. C’est un secteur à fort potentiel, qui permet une intégration verticale et génère beaucoup d’emplois locaux.

Mais pour cela, nous avons besoin du soutien de nos partenaires, en particulier de l’Union européenne et de la France. Ensemble, nous pouvons continuer à exploiter de façon durable cette zone exceptionnelle, et rendre notre région plus autonome vis-à-vis du reste du monde.

 

Cédric de Spéville, CEO d’Eclosia

« Coopération régionale : S’asseoir et discuter sans mettre à risque la biosécurité de nos îles »

Le Modérateur : Cédric de Spéville, d’après vous, quels sont les leviers à mettre en place ou à renforcer pour catalyser ces chaînes de valeur dans l’industrie agroalimentaire ? Et deuxièmement, pouvons-nous prétendre à être le moteur pour renforcer cette souveraineté alimentaire à l’échelle de l’océan Indien ?

Cédric de Spéville Si vous le voulez bien, je parlerai de certaines convictions qu’on a forgées dans le groupe Eclosia depuis bientôt 60 ans. La première conviction, qui est peut-être la plus importante pour moi, c’est que la fameuse région océan Indien sera d’autant plus résiliente qu’on sera chacun, individuellement, résilient. Être résilient, en termes de sécurité alimentaire, signifie production locale. C’est hyper important, si on veut qu’en tant que groupe, on soit résilient, que chacun d’entre nous développe au maximum son potentiel de production. Il y a plein de choses qu’on peut améliorer. Mais je pense que le fil directeur, c’est vraiment de toujours avoir la curiosité, quand on regarde des chaînes de valeur, de se dire : « Qu’est-ce qu’on peut faire de plus à Maurice ? Qu’est-ce qu’on peut faire de plus à Madagascar ? Qu’est-ce qu’on peut faire de plus à La Réunion ».

Souvent, on s’arrête à des solutions de facilité qui sont l’importation de matières premières, alors qu’il y a des solutions à développer localement.

Pour revenir à la question, je pense que le premier levier, c’est vraiment de tous nous assurer, individuellement et aussi collectivement, que chacune de nos îles développe pleinement son potentiel. Et cela peut venir avec les politiques publiques. Je pense évidemment, dans certains cas, à plus de cohérence fiscale. Je pense aussi à ce fameux concept de ‘level playing field’ entre les produits locaux et les produits importés, à s’assurer que les mêmes contraintes s’appliquent, etc.

Malgré ça, même si on arrive à faire que chaque pays soit au maximum de son potentiel, si on prend le cas de Maurice, c’est assez évident qu’on n’ira pas bien loin. On ira un peu plus loin, mais pas bien loin, du fait de la géographie, la taille du pays, les contraintes physiques… Donc, la question de coopération régionale est évidemment hyper importante. Et là, pour éviter de rentrer dans un long discours, je vais peut-être parler de deux sujets.

Il y a, premièrement, la coopération régionale en termes d’alignement entre nos pays, entre nos îles, sur toutes les questions de réglementation, de critères sanitaires, phytosanitaires, vétérinaires, etc. C’est très important qu’on prenne le temps de s’asseoir et de discuter sans mettre à risque la biosécurité de chacune de nos îles. Si on veut pouvoir échanger, il faut avoir les paramètres dans lesquels on peut échanger.

Donc, le premier item au niveau de la coopération régionale, c’est de se mettre autour d’une table et de décider des paramètres. Le deuxième item, et ça, comme on dit en anglais, c’est ‘the elephant in the room’, c’est le potentiel énorme de production que représente Madagascar, qui a 90% des terres arables de la région.

Mais je crois qu’il faut qu’on soit tous bien conscients que Madagascar ne deviendra notre grenier à tous que si, d’abord, elle arrive à subvenir à ses propres besoins. Et c’est là qu’on entre en jeu, nous, Réunionnais, Mauriciens et autres, pour vraiment mettre toutes les ressources qu’on a sous la main – intellectuelles, physiques, monétaires – pour accompagner Madagascar à atteindre, autant que possible, son potentiel.

Quand je dis accompagner, c’est un mot choisi, parce qu’il ne faut absolument pas qu’on aille à Madagascar pour le faire à leur place. Je crois que ce serait une grave erreur. Quand on va dans un pays – en tout cas, c’est notre philosophie au niveau de notre groupe – on y va pour faire « avec » et « pour ». Ça fait 30 ans qu’on est à Madagascar et on a réussi à contribuer – humblement peut-être – à la construction de filières, en apportant quelquefois les financements, mais aussi des solutions techniques en armant des filières pour augmenter les rendements, pour faire que des choses se passent, et aussi en aval, avec des ‘offtake agreements’ pour que ceux qui font partie de la filière soient capables de vendre.

C’est ce qu’on fait au niveau du groupe Eclosia depuis 30 ans et c’est non seulement efficace, mais drôlement satisfaisant, parce que c’est satisfaisant de se sentir utile, et c’est satisfaisant de se sentir accueilli quand on va dans un pays sans les gros sabots et que ça fonctionne.

Donc, au premier niveau, la production locale – mettre tout ce qu’on peut pour produire localement, partout, et verticalement intégré au maximum. La production, évidemment – et je crois qu’Arnaud l’a dit juste avant – c’est de la valeur ajoutée à 100 %. C’est un effet multiplicateur incroyable, ce sont des emplois, c’est la balance des paiements qui s’améliore… Toutes ces choses dont a tellement besoin l’île Maurice.

Et au deuxième niveau, la coopération régionale, avec mise en commun des compétences et des critères.

Vous savez tous que le temps agricole, le temps de la production alimentaire, ce sont des temps longs, qui demandent du temps, par définition, et de l’investissement. Et quoi qu’on fasse, même si on est tous hyper motivés d’y mettre tous les moyens, je crois qu’on aura encore quelques décennies de défis, où on devra s’assurer de collaborer aussi au niveau international.

Dans cette optique, je pense qu’on a la chance, à Maurice, d’avoir développé des liens forts avec des pays importants, des pays armés comme la France, au premier titre. Nous, au niveau du groupe Eclosia, ça fait un peu plus de 35 ans qu’on coopère avec la France sur un sujet précis, qui est l’approvisionnement en blé, avec le groupe Soufflet InVivo.

Aujourd’hui, grâce à la garantie d’approvisionnement qu’on a de ce groupe français, on est capable d’avoir de la farine peu importe ce qui se passe. Lors de la crise de 2007-2008, la crise alimentaire, je ne sais pas si vous vous en souvenez, mais il y a beaucoup de pays qui avaient fermé le robinet et arrêté d’exporter, mais la France était là. Il y a ce partenariat, cette relation de confiance : on se connaît, on s’apprécie, on se fait confiance…

Donc, production locale, coopération régionale, coopération internationale… Est-ce qu’on peut en être le moteur ? Je ne sais pas. J’ai envie de dire oui, mais je n’y crois pas. On a plein de petits moteurs partout. Il faut se mettre autour de la table. Il faut bosser ensemble.

 

Le Modérateur – En conclusion, on a entendu beaucoup de choses de la part de chacun sur les opportunités, qu’elles viennent de Maurice, de La Réunion ou d’ailleurs dans la région. Il ne s’agit pas seulement de Maurice et de La Réunion, mais bien de toute la région de l’océan Indien. C’est aussi un enjeu national aujourd’hui : on parle de souveraineté alimentaire, on parle de croissance partagée… Tous ces éléments convergent dans le même discours.

D’après vous, que pouvons-nous mettre en place, en termes de politiques ou d’actions, d’une part pour la pêche et la transformation des produits de la mer, et d’autre part pour l’industrie agroalimentaire, afin de soutenir tous ces acteurs ?

Vassen Kauppaymuthoo – Je vais vous répondre par une question : Quelle est la façon la plus rapide d’aller aux Seychelles ou à Madagascar ?

Le Modérateur – Malheureusement, je crois que c’est… via Dubaï.

Vassen Kauppaymuthoo – Parfois, on a l’impression que c’est sur le dos d’un poisson ! La première chose, c’est la connectivité. Nous sommes des territoires qui se sont développés grâce au commerce maritime, mais il n’y a pas de commerce entre nous. Ce sont des maillons d’une chaîne qui, selon moi, doivent être beaucoup plus connectés qu’ils ne le sont aujourd’hui.

Il faut aussi, à mon avis, éviter la duplication. Si tout le monde dans la région se met à produire des pommes de terre en même temps, que va-t-il se passer ? Ça ne fonctionnera pas.

Il faudra donc dialoguer. Je crois que le dialogue entre les États est absolument essentiel.

 

Question du public – Je suis Rohit Ramnawaz, président du conseil d’administration de la SBM. J’ai bien retenu que l’un des principaux problèmes, c’est la connectivité intrarégionale. Ce n’est pas un problème nouveau. On en parle depuis au moins deux décennies. Quel pourrait être l’apport du secteur privé ? Devons-nous toujours dépendre du gouvernement, ou pouvons-nous envisager une autre approche ? Comment contourner ce problème ? On ne peut pas s’attendre à ce que le gouvernement règle tout à lui seul.

Arnaud Lagesse – Je crois que nous avons énormément de chance, à Maurice, à La Réunion, à Madagascar, d’avoir un secteur privé extrêmement dynamique. Il suffirait de le laisser faire ce qu’il sait faire pour que les choses avancent. Des groupes sont tout à fait prêts, aujourd’hui, à se regrouper pour développer ce commerce régional.

Mais encore faut-il que nous ayons, à Maurice, un port qui fonctionne. Malheureusement, notre port souffre d’une certaine sclérose, et c’est bien dommage.

Si les choses évoluent – et j’entends que le gouvernement actuel s’emploie à faire bouger les lignes – je suis convaincu que les opérateurs comprendront rapidement qu’il y a des opportunités commerciales à saisir.

Ces opportunités se traduiront naturellement par des investissements, et donc par une intensification des échanges entre les îles. On peut aussi envisager la même chose au niveau de l’aviation. C’est peut-être un peu moins « carbone neutre », mais il est tout à fait possible de développer des lignes régionales grâce à Air Austral, Air Mauritius et Air Seychelles, qui ont aujourd’hui toutes les capacités nécessaires pour soutenir ce commerce inter-îles, mais aussi vers l’Afrique. Le continent reste, pour nous en tout cas, notre planche de salut. Rien que la côte est de l’Afrique représente plus de 250 millions de consommateurs.

Skip to content