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“Le secteur agricole à Maurice va être durement touché !”

Il est on ne peut plus clair. On ne peut pas tout attendre du gouvernement. Pour faire face au changement climatique, et surtout agir pour atténuer les effets de ce phénomène, le catalyseur doit être collectif. Le Dr François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et des migrations, et membre de l’éminent Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), affirme que le changement climatique est irréversible à l’échelle du siècle. C’était lors d’une conférence de presse, jeudi, dans le cadre de la ‘Semaine Klima’ organisée par la MCB

Dr François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et des migrations

Il ne faut pas sombrer dans la peur, mais plutôt essayer de limiter les dégâts

A Maurice, la hausse du niveau de la mer a causé l’érosion des plages, certains signes étant visibles jusqu’à 20 mètres à l’intérieur des terres. Le changement climatique est donc bien là, et ne s’arrêtera pas.

« On a tendance à placer le changement climatique dans une boîte car d’autres sujets socio-politiques sont considérés plus importants. On se croit immunisé contre ce phénomène. La Covid-19 nous a pris par surprise, mais pour le changement climatique, les données scientifiques sont là depuis des années », a soutenu le Dr François Gemenne, spécialiste des questions de géopolitique de l’environnement et des migrations, et membre de l’éminent Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat (GIEC), dans le cadre de la ‘Semaine Klima’ organisée par la MCB.

 

« Il ne faut pas sombrer dans la peur, mais plutôt essayer de limiter les dégâts. Je ne vais pas vous mentir sur la gravité de la situation », a lâché le Dr François Gemenne.

En effet, les grands pays industrialisés qui ont davantage contribué au changement climatique ne seront pas les premiers touchés par ce phénomène. Selon lui, Maurice doit donc davantage faire entendre sa voix sur le plan international en organisant, par exemple, la Conférence des Parties sur le changement climatique (plus connue comme la COP), car jamais encore cette conférence n’a été organisée dans un Petit état insulaire en développement (PEID). Et d’ajouter que Maurice est le seul PIED ayant la capacité hôtelière nécessaire pour accueillir cette conférence.

« Organiser la COP à Maurice ramènerait les grands pays face à leurs responsabilités. Ils pourraient constater ce qui se passe sur le terrain, et mettre les moyens de financement à disposition pour lutter contre les effets », a-t-il ajouté.

Pour poursuivre la discussion sur ce sujet d’actualité brûlante, le Dr François Gemenne a bien voulu répondre aux questions de BIZweek :

Nous parlons habituellement de la COP27, mais il y a également la Conférence ministérielle de l’OMC. On est parvenu à un accord sur les subventions à la pêche après 20 ans de discussions, et le terme « changement climatique » a été mentionné pour la première fois lors de la CM12, en juin 2022. Vu qu’il y a urgence à agir, comment expliquer que cela prenne autant de temps? 

Cela tient largement à un phénomène de déconnexion. On a considéré que le changement climatique était mieux traité dans un silo, dans une boîte à part, comme si d’autres négociations, en particulier celles liées au commerce, ne sont pas affectées par ce phénomène. Il est très révélateur que ce n’est que maintenant que, pour la première fois, le terme ‘changement climatique’ vient percuter les négociations sur le commerce. Tant mieux ! Mais quelle catastrophe qu’il ait fallu attendre aussi longtemps !

Aujourd’hui, il faut davantage de cohérence dans les négociations internationales. Il faut donc cesser de considérer le changement climatique comme un sujet à part ou penser que si on doit prendre des décisions en matière de climat, cela va défaire les décisions en matière de commerce, de pêche ou d’agriculture. Il faut vraiment intégrer la chose de manière transversale.

Il y a aussi le phénomène de morcellement des terres agricoles pour des projets résidentiels ou autres constructions. Cette tendance peut-elle coexister avec la démarche de sécurité alimentaire ? 

Très clairement, aujourd’hui, il y a une série de problèmes. Si vous parlez des marécages et des projets de développement, il faut se dire que ce sont des espaces indispensables de protection contre le risque cyclonique, contre le risque d’inondation. Si on bétonne et on développe ces zones naturelles, on accroit leur vulnérabilité. L’enjeu est d’intégrer les différents secteurs, de voir comment on intègre aussi les questions économiques et les questions environnementales, et comment on transforme l’économie de Maurice en une économie durable. C’est la question d’intégration des différents secteurs. Je pense que cela peut être une carte gagnante à jouer pour Maurice, y compris dans l’attrait de nouveaux investisseurs étrangers, et dans sa position géopolitique internationale.

Pensez-vous qu’on mettra encore 20 ans à agir ? 

Il faut ne pas tout attendre des gouvernements, ni des négociations internationales. Celles-ci sont là pour fixer un cadre, mais ce ne sont pas les négociations internationales qui vont déclencher l’action. C’est un forum de discussions, un rassemblement de copropriétaires. Dans un immeuble, si aucun des copropriétaires n’est d’accord pour rénover l’immeuble, ce n’est pas l’assemblée générale toute seule qui va décider de la rénovation. Donc, il ne faut pas attendre que les négociations internationales agissent d’elles-mêmes. Idem pour les gouvernements. C’est la société qui doit se mobiliser, et après, les négociations internationales seront le reflet de cela.

Qui dit changement climatique dit aussi sécurité alimentaire. Quel constat faites-vous à ce niveau à Maurice ? 

D’abord, le secteur agricole à Maurice va être très durement touché. Il y a aussi la question des chaînes d’approvisionnement. Maurice est extrêmement dépendant des importations, alors le pays est également dépendant des impacts du changement climatique dans d’autres pays. Il est important, dans la manière dont Maurice va faire ses plans d’adaptation et de résilience, de voir les risques du changement climatique non seulement localement, mais aussi dans d’autres pays qui pourraient perturber les chaînes d’approvisionnement, et donc la souveraineté et la sécurité alimentaire du pays.

Vous avez dit, lors de votre intervention, que Maurice peut avoir un rôle clé en faisant entendre sa voix à l’international sur le changement climatique. Doit-on y aller seul, ou mobiliser l’ensemble des PEID, qui sont à risque comme nous ? 

Maurice doit en effet entamer des discussions avec les pays africains et les autres Petits états insulaires en développement (PEID) de manière à être sûr d’avoir leur appui et leur soutien. Mais je pense que Maurice a également beaucoup d’atouts comme la stabilité politique, peu de problème de violence dans la société et un développement assez remarquable. Maurice a aussi des moyens financiers. Vous avez de gros groupes industriels entrepreneuriaux à Maurice qui, quelque part, peuvent aussi financer cette transition de l’économie. Maurice a donc beaucoup de cartes à jouer et à faire valoir. Le pays peut se poser en leader, pas dans l’idée d’écraser les autres, mais avec la volonté d’entrainer avec lui les autres PEID et pays africains.

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