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“Coopérer ou subir : l’océan Indien face à ses défis”

Par Edgard RAZAFINDRAVAHY, Secrétaire général de la Commission de l’océan Indien

Changement climatique, santé publique, connectivité numérique, gestion des ressources marines… Face à des enjeux communs, la coopération régionale n’est pas un luxe. Elle est vitale. Le Sommet de la COI doit affirmer cette évidence et fixer un cap d’action collective.

Le 24 avril prochain, les chefs d’État et de gouvernement des pays membres de la Commission de l’océan Indien (COI) se réuniront à Antananarivo pour le 5e Sommet de notre organisation régionale. Plus qu’un rendez-vous protocolaire, ce sommet est une rencontre stratégique, un moment de dialogue au plus haut niveau pour tracer l’avenir d’une coopération insulaire essentielle face aux défis de notre temps.

Depuis sa création en 1982, la COI réunit cinq États membres : Madagascar, Maurice et les Seychelles, pays fondateurs, rejoints en 1986 par les Comores et la France au titre de La Réunion. Cette communauté régionale singulière s’appuie sur un socle commun : l’insularité, avec ses atouts mais aussi ses vulnérabilités partagées. Nos territoires sont exposés de manière aiguë aux effets du changement climatique, aux chocs économiques, aux crises sanitaires et aux tensions géopolitiques croissantes dans l’océan Indien.

Pour y faire face, la COI déploie depuis quatre décennies une coopération tournée vers l’action. Plus de 70 projets ont été mis en œuvre dans des domaines variés : sécurité alimentaire, santé publique, gestion des ressources marines, sécurité maritime, résilience climatique, connectivité numérique… Autant d’initiatives concrètes, aux résultats tangibles, portées avec le soutien de partenaires fidèles tels que l’Union européenne, l’Agence française de développement, la Banque mondiale, le Système des Nations unies ou encore le Fonds vert pour le climat.

À Maurice et Rodrigues, ces impacts se mesurent clairement. En 2016, lors de l’épidémie de fièvre aphteuse, l’appui du réseau régional SEGA One Health de la COI, soutenu par l’Agence française de développement et l’Union européenne, a permis une riposte rapide et coordonnée. Grâce à cette intervention, l’impact socioéconomique a été limité à Rs 125 millions (environ 2,5 millions d’euros), alors qu’il aurait pu atteindre plus de Rs 1,35 milliard (27 millions d’euros) sans soutien régional.

 

« Le Sommet d’Antananarivo marque un tournant. Il s’agira d’un moment fort de concertation politique, mais aussi de relance stratégique. »

 

Face à la pandémie de Covid-19, la COI a été aux côtés des autorités mauriciennes en lui fournissant plus de 40 000 équipements de protection, 50 000 réactifs pour les tests PCR, ainsi que 6 moniteurs de suivi des patients et deux systèmes d’oxygénation extracorporelle. Maurice a également bénéficié de l’installation au sein de l’hôpital Jeetoo, à Port-Louis, d’un laboratoire de sécurité biologique P3 permettant d’étudier les agents pathogènes potentiellement dangereux, ainsi que d’une clinique vétérinaire mobile facilitant les interventions au plus près des éleveurs mauriciens.

Dans un tout autre registre, la COI a également accompagné la structuration et l’installation du câble sous-marin METISS, porté par six opérateurs de télécommunications de la région, dont EMTEL et CEB FibertNet à Maurice. Ce câble, le plus puissant de l’océan Indien occidental avec 24Tbs, est un levier décisif pour le développement numérique : il facilite le déploiement de la 5G, garantit la redondance et la sécurité des connexions, et renforce les capacités de connectivité, au bénéfice des entreprises comme des citoyens.

À Rodrigues, la COI a contribué à la mise en place, en 2012, d’une fermeture saisonnière de la pêche aux ourites. Dès la première année, les effets ont été significatifs : 294 tonnes d’ourites récoltées, un volume supérieur à la moyenne des années précédentes. Cette mesure continue de produire des résultats : plus de 600 tonnes pêchées annuellement depuis, générant des impacts pour l’économie et l’emploi, l’entrepreneuriat, la sécurité alimentaire et la gestion durable de la ressource. Cette initiative réussie a ensuite été reproduite sur l’entièreté du territoire mauricien et fait des émules jusqu’à Zanzibar.

Le Sommet d’Antananarivo marque un tournant. Il s’agira d’un moment fort de concertation politique, mais aussi de relance stratégique. Les chefs d’État et de gouvernement y feront le point sur les avancées de la COI, mais surtout, ils définiront ensemble un nouveau cap, en phase avec les réalités géopolitiques et économiques actuelles.

Face aux crises mondiales, nos îles doivent renforcer leur capacité d’action collective. Cela passe par des politiques communes, une diplomatie coordonnée, et des dispositifs régionaux plus robustes pour prévenir, gérer et surmonter les crises. La COI peut et doit devenir un espace d’influence positive pour les îles, un levier de souveraineté partagée, une voix forte et audible sur les grands enjeux internationaux : climat, océan, sécurité, développement durable.

La pertinence de la COI se mesure à sa capacité à agir utilement pour nos populations. C’est pourquoi le 5e Sommet sera un moment d’engagement concret avec pour thème central la sécurité alimentaire et le développement du marché de l’Indianocéanie. Ensemble, nous avons la capacité d’améliorer la productivité agricole et alimentaire de nos îles, nous avons l’opportunité d’échanges commerciaux dynamisés et facilités en capitalisant sur nos expériences : certificat d’origine COI permettant des échanges en franchise de droit de douane, production de plus de 100 tonnes de semences améliorées avec le CIRAD, harmonisation des normes sanitaires et phytosanitaires, feuille de route pour une connectivité maritime renforcée…

 

« Face aux crises mondiales, nos îles doivent renforcer leur capacité d’action collective. »

 

Ce sommet est aussi un message à nos partenaires internationaux : les îles de l’océan Indien ont une vision, des priorités claires et une volonté d’agir ensemble. Nous attendons de nos partenariats qu’ils soient alignés avec nos réalités et qu’ils renforcent nos capacités tout en servant nos intérêts communs.

Enfin, j’invite chacun et chacune à se sentir concerné(e) par cette dynamique. La coopération régionale ne se limite pas aux chancelleries : elle vit à travers nos entreprises, nos chercheurs, nos jeunes, nos collectivités. Elle se nourrit de projets communs et d’un imaginaire partagé. C’est dans ce sens que la COI a soutenu la création et accompagné les actions de réseaux porteurs comme l’Union des chambres de commerce et d’industrie de l’océan Indien – devenue Cap Business océan Indien, l’Association des ports des îles de l’océan Indien, l’Association des îles Vanille, le réseau de suivi des récifs coralliens ou, tout récemment, le parlement des jeunes de l’Indianocéanie, lancé le 15 avril dernier aux Seychelles en marge du 39e Conseil des ministres de la COI.

Le Sommet d’Antananarivo est celui de nos îles, de nos peuples, de notre avenir. À nous d’en faire un moment d’élan collectif pour bâtir, ensemble, une région plus forte, plus résiliente, plus solidaire.

 

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